Eloge des boîtes

La doxa contemporaine en matière d’alimentation (dont je ne sais pas situer historiquement l’émergence) veut, exige même, que l’on ne se nourrisse que de produits frais. La viande et le poisson doivent être frais, les fruits, les légumes doivent être frais. Ajoutez à cela une doxa 2 ou super-doxa : j’ai nommé, en trois lettres, Bio (le petit bonhomme vert qui aura toujours l’avantage dans nos imaginaires blasés). Il fait un tabac, celui-là ! Enfin non, pas un tabac, précisément, parce que le tabac de nos jours, pour raison d’hygiénisme, de prophylaxie du cancer, d’esthétique même (« Ah, tu fumes encore ? », s’entend-t-on dire au bureau à la collègue qui descend sur le trottoir pour sa pause clope, pourtant très classe avec son sac Vuitton et ses chaussures Clergerie), le tabac n’est plus très prisé… Bref, les boîtes de conserve, les boîtes qui ont bercé notre enfance, à nous quinquagénaires encore verts (mais pas très bio, au fond), les boîtes ont tout l’air d’une survivance d’un autre âge. Si vous prenez dans un rayonnage de grande surface, par exemple, un cassoulet *** (petit ou grand modèle), je suis sûr que vous éprouverez quelque honte lors du passage en caisse. Ça fait prolo, ça fait négligé (presque sale), ça fait qui-s’en-fout-de-bien-se-nourrir (et au final, non éthique, voire peut-être même légèrement pathologique). Very bad ! Seulement voilà, j’aime les boîtes, enfin je veux dire, leur contenu. Toutes les boîtes, hein : cassoulet, choucroute, petit salé aux lentilles (slurp !), raviolis-buitoni, poires au sirop, gratin dauphinois, petits pois bien entendu, potée aux choux, tomates pelées, salsifis (ou doigts de mort(s), de plusieurs morts ou bien d’un seul), épinards, haricots verts, blancs ou rouges, maïs doux, choux de Bruxelles, etc. C’est pourquoi, en raison de cet amour (de toujours, mais honteux), je voudrais par ce bref éloge non funèbre revigorer un tout petit peu l’image des boîtes, lui redonner un regain d’énergie, d’appétence, de désirabilité.

Parce qu’intuitivement, je suis persuadé que les boîtes de conserve, ça conserve. Relisons Grimod de la Reynière, qui s’y connaissait. En 1812, il constate avec regret qu’il est difficile de s’en procurer et espère que l’on pourra bientôt à nouveau « se pourvoir abondamment de ces petits Pois, de ces Fèves de marais, de ces Abricots, Cerises et Pêches en bouteilles qui figuroient pendant l’Hiver sur nos tables, de manière à croire que l’ordre de la Nature étoit interverti ». Aujourd’hui, l’on peut se pourvoir de tout cela, et de bien plus encore. Alors, n’hésitons plus !

Tags :

7 commentaires to “Eloge des boîtes”

  1. CHRIS dit :

    J’adhère à ton éloge des boîtes, et particulièrement des boîtes dites de conserve : vive l’appertisation qui nous permet de déguster tout au long de l’années d’excellents fruits et légumes sélectionnés et des plats cuisinés très variés! Mais que penses-tu de la généralisation du procédé individuel d’ouverture des boîtes intégré au couvercle de celle-ci, procédé qui ringardise ou rend obsolescent l’utilisation de l’ouvre-boîte ? Un premier sujet de dîner-débat pour une éventuelle association des amis de la boîte Appert…?

  2. eph dit :

    je suis partagé au sujet de l’ouverture sans ouvre-boîte. d’un côté c’est un progrès (la boîte étant autosuffisante), avec tout de même un inconvénient assez généralement observé, le risque non exclu que la languette te reste dans les mains (shit ! si je n’ai pas d’ouvre-boîte du tout dans la maison – mais je peux avoir recours peut-être à un marteau et des clous ??), le risque de se blesser avec le couvercle qui reste assez tranchant (et traîtreusement, car les couvercles obtenus avec un ouvre-boîte sont hérissés de piquants, de ce fait plus francs du collier, c’est le cas de le dire – ajoutons que l’ouverture avec l’ouvre-boîte permet de ne pas désolidariser le couvercle du corps, celui-là pouvant être rabattu sur celui-ci en manière de couvercle de conservation au réfrigérateur, dans le cas des boîtes qui ne sont pas consommées en une seule fois, ce qui se produit rarement avec les demi-boîtes mais non rarement avec les grands modèles), et enfin le risque de projections à l’ouverture, de projections d’une sauce tomate infâme, d’un haricot en free lance ou d’un brin de choucroute qui aspire à la liberté (ce pourquoi il est impératif, lors de l’opération d’ouverture avec languette, d’orienter la boîte de telle sorte que la projection redoutée se produise vers l’extérieur, et non vers l’intérieur (sur tes vêtements), à moins d’être torse-poil lors de l’opération, ce qui est envisageable en plein été (lorsque celui-ci n’est pas trop pourri), mais en aucun cas à la saison froide.

  3. mj dit :

    Rahhh… ce pseudo couvercle rabattu sur le reste de cassoulet :
    – les haricots supérieurs racornis dès le lendemain
    – le beurre (vaguement emballé dans un papier alu chiffonné) parfumé à la saucisse de Toulouse pour le restant de son existence dédiée aux tartines du matin
    – la frustration ressentie en l’absence d’ouvre-boîte

    Pourtant les languettes sont généralement :
    – coupantes et agressives
    – mal finies et donc inouvrables sans… ouvre-boîte
    – encore plus dangereuses pour le beurre qui risque de côtoyer une boite totalement ouverte

    Ma dernière découverte en boîtologie est la boîte d’anchois à l’huile d’olive, ouverture à l’ancienne (ouvre-boîte indispensable), livrée avec un couvercle en plastique qui protège hermétiquement le contenu après ouverture.
    Pas mal, non ?

  4. eph dit :

    je réfléchissais en arpentant la rue de la Convention (proche mon domicile) à ces boîtes avec languette : rien n’interdit, de jure, d’ouvrir de telles boîtes avec un ouvre-boîte !! c’est ce que je viens de tenter. et là, ô surprise, m’est apparu un inconvénient de taille, c’est que ouvert de cette manière, le « couvercle » a une fâcheuse tendance à s’enfoncer dans la matière qui se trouve par en-dessous, et pour l’extraire il faut user de subterfuges, par exemple couteau pointu ou tournevis, pour décoller délicatement le couvercle de la matière, en prenant garde de ne pas s’en mettre partout, de cette matière infâme (généralement une sorte de sauce brune ou tomate bourrée de gélifiants).

  5. CHRIS dit :

    De cet échange aussi pragmatique que documenté je déduis que nous devons nous fédérer d’urgence pour recenser les boîtes « à l’ancienne », beaucoup plus sûres. J’ai été déçu de constater qu’il ne fallait plus les chercher au bas de la gamme (discount, eco+, top budget, pouce jaune levé, etc…). Par contre j’ai trouvé sur la Côte d’Azur des CONFITURES EN BOITE (eh oui, eph, ton énumération n’était pas exhaustive !) à ouvrir à l’ancienne, avec couvercle en plastique, comme les anchois à l’huile que vous citez en exemple. Quelqu’un aurait-il le courage, par ce temps humide et peut-être froid, d’aller faire un tour chez Fauchon et nous dire de quoi il retourne ?

  6. WOLF dit :

    Merci eph pour cet article plein de bon sens ! Miamtime, c’est toujours sympa mais souvent ce sont des plats exotiques inconnus et introuvables, des adresses qui vous font rêver mais où on n’aura jamais les moyens d’aller, des cocktails qui vous mettent sur le toit ou des livres plutôt chiants… Là c’est du simple et du concret, qu’on peut mettre en pratique tout de suite. Je suis allé au Leclerc et j’ai mis sur le tapis toutes les boîtes que tu énumères. Banco : la caissière a fait une drôle de tête. Et en plus je l’ai regardée bien en face. La pauvre, elle avait un problème de couleur car son régé avait tourné et il fallait qu’elle file chez le coiffeur à la fin de mon tapis. Encore une que je n’aurai pas convaincue. Dommage, j’aurais dû lui passer l’URL pour la consoler.

  7. Charles C dit :

    Quoi de plus éclairant que cette mise en abyme faussement fortuite de la triste déchéance de la cigarette pour nous annoncer le funeste déclin de ces boîtes que nous aimons tant ? Déguster son cassoulet en boîte dans des assiettes de Saxe, des assiettes de Sèvres ou des Yung-Ching, avec couverts en argent massif sur nappe chiffrée sera tout aussi vulgaire que fumer en Vuitton-Clergerie. La collimateur va ensuite se porter sur la dive bouteille : le rouge deviendra « gros » et tachera beaucoup. Mais si, c’est pour bientôt. Et cela continuera.
    Je pense à cette scène culte du « Fantôme de la liberté », de Bunuel, (1974)plus que jamais d’actualité. C’est une parabole qui soutient un cours de droit visant à faire comprendre à des gendarmes obtus que la loi suit les moeurs sociales.
    http://www.youtube.com/watch?v=h7DmSbju1bg
    A voir et à revoir

Publier un commentaire