Billets taggés ‘Guyane’

Itinéraire spiritueux

lundi 6 juin 2011

« Quand les mesures itinéraires marquant les distances d’un lieu à un autre se calculent non en kilomètres mais en litres, la vie devient un plaisant voyage »

Un itinéraire à suivre par qui aime le « bien manger », le « bien boire » et le « bien parler »…
Gérard Oberlé nous guide de province en continent sur les chemins de sa vie: promenade littéraire et culturelle dans un monde flamboyant dont les bornes d’étapes sont des banquets, des recettes, des réceptions, des cocktails, des grands vins… Les rencontres sont inattendues, les lieux insolites, les situations cocasses, les breuvages parfois indigènes. La géographie et la chronologie sont perverties par leur symbiose avec les alcools mais nous ne sommes pas perdus dans ce labyrinthe aux figures célèbres dont le fil d’Ariane est le vin, ce vin divin avec lequel l’écri-vin cultive une relation plus que fusionnelle.

Prendre le bouillon, c’est bon

mardi 26 avril 2011

Pas facile de commencer, aujourd’hui. Il faut dire que j’avais envie de vous parler du resto où travaille mon grand Raph, Les Fables de la Fontaine, rue Saint Dominique, à Paris. Mais pour vous en parler vraiment, il faudrait retrouver une palette de sensations subtiles, se replonger dans l’émerveillement, à chaque bouchée, des textures mêlées, des parfums à savourer lentement, se remémorer la fermeté fondante d’un turbot au girolles, l’éclatante douceur d’une verrine de homard, la volupté d’une mousse… « Celestiale ! » ainsi que s’exclamait ma voisine de table ce soir de juillet où j’ai découvert les Fables.  Oui, celestiale, mais pour en dire plus, j’attendrai d’y retourner et de pouvoir agrémenter de photos mon propos et vous livrer toute frémissante mon extase.

Faute de pouvoir vous parler des Fables, je m’étais mis en tête de vous parler des Cocottes voisines. Mon grand Raph, pour se changer du temps passé aux fourneaux a décidé de s’offrir et d’offrir à sa soeur une dégustation dans cet autre établissement de la constellation Christian Constant, moins raffiné que les fables, mais qui a enthousiasmé ma Cocotte à moi. J’espérais bien un compte-rendu à vous mettre l’eau à la bouche. Las ! Il m’a fallu me contenter du programme  -copieux, il est vrai- assorti d’un commentaire laconique mais efficace,  Esther dans le texte : « Potage de petits marrons avec des morceaux et une mousse de châtaigne ; Raviole de langoustine ;  Saint jaques avec endives au beurre orange ; Pomme de terre fourrée au porc et caramélisée ; Agneau et légumes de saison (asperges, petits pois, tomates confites, oignons, artichauts) ; Salade de fruits ; Gauffre avec chantilly + tarte au chocolat (la célèbre de Christian Constant) avec une sauce caramel !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Je me suis régalééééééééééééeeeeeeeeeeeeeee !! » Pas de quoi faire un article, en somme. Là aussi, ça attendra.

Il ne me reste donc plus d’autre choix que de vous parler du bouillon d’awara, mon seul horizon gastronomique actuel. Après tout, c’est de saison. Le « Bouyon wara » guyanais, c’est notre cocotte de Pâques, avec son goût de revenez-y qui vous tend son piège gustatif. Tant il est vrai que

« Menmsi oun jou mo alé a Paris
Menmsi oun jou mo alé en Italie
Menmsi oun jou mo alé a Tahiti
Mo ké toujou viré

Lò mo sonjé mo bon bouyon wara
Lò mo sonjé mo kolombo ti-djòl
Lò mo sonjé mo bon ti kalalou
Mo ké toujou viré » (Yves Cippe)

Seulement, voilà : du bouillon d’awara, que dire que l’on n’ait dit déjà ? Vous parlerai-je du fruit, avec son cuir orange vif et sa pulpe immangeable mais qui donne le jus gras dont on fait la pâte, ce fruit que l’on ramasse, mais que l’on ne cueille pas, tant les épines du palmier sont redoutables ? Des multiples ingrédients, viandes boucanées et légumes, sans compter la pâte d’awara qui donne au plat son nom ? De la lente préparation, qui occupe plusieurs jours de la semaine sainte ? De la saveur un peu fauve du plat que l’on déguste en grandes tablées familiales ?

Non, je  vous dirai simplement quelques mots de ce beau dimanche de Pâques, tout ruisselant de lumière. Des grands plats de bouillon brûlant et de riz, au milieu des amis, des chants d’oiseaux et des rires. Du ciel bleu et des feuillages verts sous le soleil de midi, du bois sombre et de la douceur de l’ombre sous le carbet, de la lenteur d’une journée de fête.

Pas très appétissante, la photo ? C’est que vous n’avez pas senti, c’est que vous n’avez pas goûté ! Car le bouillon est une surprise : une graisse orange vif baignant une masse indistincte d’épinards, de queues de cochon, de haricots, de poisson, de choux, de poulet, de concombres piquants, de crevettes. Au vrai, pas de raffinements dans ce rata mijoté des heures durant. On le cuisine en gros, c’est du travail de cantinier. Et pourtant, la magie est toujours là. Avant de vous prendre à la gorge, elle vous prend d’abord le nez.  Et là, je serais bien en peine de vous décrire le parfum du bouillon d’awara. Il n’y a pas de mots pour ça, car c’est beaucoup trop compliqué. Il y a dedans toute la Guyane avec sa flore forestière et sa faune multiculturelle. C’est pourquoi le bouillon est tout un symbole. C’est pourquoi tous ceux qui en ont goûté avant de s’en aller reviendront un jour sur le sol guyanais. C’est pourquoi ceux qui ne sont jamais encore venus en Guyane s’y rendront un jour pour prendre le bouillon.

Et vous ? Dépêchez-vous, rien n’est perdu pour cette année : prochain service pour Pentecôte.