Le sourire contemplatif et énigmatiquement bienveillant qui règne sur les visages pétrifiés d’Angkor suscite l’envoûtement du voyageur au Cambodge: est-ce là le fascinant secret d’une sérénité qui survit à ses écorchures ? L’émotion devant les prodiges architecturaux enfouis dans la jungle reste intacte malgré un tourisme plus organisé que du temps de Pierre Loti (« Un pèlerin d’Angkor »)
Mais avant cela, sur la route qui mène de Phnom Penh à Angkor, une première émotion vous attend, culinaire celle-ci. Arrêtez-vous à Skun. A l’entrée du village, une énorme structure arachnomorphe donne le ton. Plus loin, le marché gastronomique au bord de la route grouille d’animation. On s’esbaudit devant les étals odorants, on se penche sur les seaux-vivariums, on en extrait vivante une jolie bête qui deviendra proie. On l’accroche aux genoux, on la tient dans la main, on la pose sur la tête, on la câline, elle chatouille le front : la mygale est facétieuse et docile. La seconde phase est moins attendrissante (mais après tout l’humain est aussi carnassier) car la petite chose passe à la friture embrochée sur ses consœurs. Ne soyez pas triste, autour de vous on se régale, on mord à belles dents dans les pattes crochues et craquantes au goût délicat de crevette grise, on savoure le corps bombé délicieusement feuilleté, on se pourlèche, on se photographie, on filme… Si le spectacle vous afflige ou vous affecte, restez bon touriste et allez plus loin sur le marché vous consoler avec une copieuse assiette aux deux cafards.
On ne peut pas partager ce bonheur-là avec les amis au retour car la matière première est difficile à dénicher dans nos jungles urbaines … A moins d’envisager l’élevage en appartement ? Je vais en parler à mon voisin.